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18 mars 2018

Ferrure ou pieds-nus ? Invitation à un changement de perspective


Il est une chose qui m'étonne toujours. Dès qu'on parle de mettre un cheval pieds nus, la question qui vient est "pourquoi déferrer"? S'il est bien comme ça, pourquoi retirer ses fers? Question légitime bien sûr, et je ne vous rabâcherai pas les arguments des uns et autres sur le sujet. Non, moi ce qui m'étonne, c'est cette question : "pourquoi déferrer?". J'ai l'impression que ce n'est pas la bonne, ou du moins pas celle qui devrait venir en premier.

Non, la première question que je vous invite à vous poser, c'est "pourquoi ferrer"?

Dès que l'on commence à travailler un cheval, on nous dit qu'il faut ferrer. Parce que dans nos esprits, un cheval non ferré ne peut pas travailler. Alors, la majorité des chevaux sont ferrés dès le plus jeune âge, quand ils commencent à travailler. 


Ayant tout appris sur des poneys de club pieds nus, même ceux qui allaient à Lamotte (et ce n'était pas par conviction mais probablement plutôt pour des raisons économiques), je n'ai jamais réussi à comprendre en quoi eux pouvaient ne pas être ferrés alors que les chevaux qui travaillaient pareil l'étaient. Et aujourd'hui, de plus en plus de cavaliers nous prouvent qu'un cheval pieds nus peut travailler, du cheval de loisirs au cheval de compétition.

Alors, ce qui me dérange aujourd'hui, ce n'est pas qu'on ferre certains chevaux, c'est plutôt qu'on voit la ferrure comme la situation par défaut. On ferre d'abord, on réfléchit à déferrer ensuite. Or, l'évolution a doté les pieds des chevaux d'une structure incroyablement complexe capable de porter leur poids et de gérer les chocs liés à leurs déplacements. Pourquoi ne pas essayer d'aider ce système élaboré qu'est le pied à fonctionner correctement avant de chercher à substituer son rôle par divers artifices?

Voilà donc le changement de perspective auquel je vous invite. Non pas se demander pourquoi déferrer, mais plutôt se demander en premier lieu pourquoi ferrer? Est-ce nécessaire? Ai-je essayé d'abord de laisser le pied de mon cheval jouer son rôle? Pourquoi ne pas d'abord le garder pieds nus et voir si ça fonctionne pour lui?

Est-ce que je ferre par tradition? Par habitude? Par conviction? Est-ce que je ferre par peur? Est-ce que je ferre parce qu'il a mal? Et dans ce cas, pourquoi a-t-il mal, et est-ce la ferrure la meilleure solution pour soigner cette douleur? Est-ce que je ferre parce que j'ai vu que le travail effectué entrainait une usure trop conséquente de ses pieds? Est-ce que je ferre pour soigner une pathologie? Est-ce que je ferre parce que j'y vois la meilleure solution pour mon cheval?

Il s'agit de retourner la question, de comprendre que nous ne nous posons pas toujours la bonne question, plutôt que de se battre pour les réponses à lui apporter.

Bien sûr, la réponse pourra parfois être que la ferrure est nécessaire. Et parfois non. Mais ce sera réfléchi, pour chaque cheval dans son cas précis et pour ses besoins particuliers. Parce qu'il ne faut jamais oublier que chaque cheval est unique.

La question est n'est pas si différente pour les chevaux qui sont déjà ferrés aujourd'hui, même si on pourrait le croire à priori. Puisqu'un cheval doit être referré toutes les 6 à 8 semaines, la question peut se poser à chaque ferrure: pourquoi ferrer, à nouveau, ici et maintenant? Seulement parce qu'il était déjà ferré avant, ou bien pour d'autres raisons? Quelles sont mes raisons pour ce choix renouvelé si régulièrement?

Évidemment, la transition pour revenir aux pieds nus quand un cheval porte des fers depuis de nombreuses années est parfois complexe et pas forcément utile. Dans leur cas, la question "pourquoi déferrer" et sa contraposée "pourquoi ne pas déferrer" sont aussi importantes, et viennent compléter la réponse à la première question.

Lequel de ces pieds est le plus fonctionnel? Même antérieur gauche, après 8 mois de parage (à gauche) et après 3 mois de ferrage, au début du (re)passage pieds nus (à droite)

Pensons aussi à la prochaine génération de chevaux qui arrivent. Eux n'ont pas encore connu les fers, alors peut-être n'en auront-ils pas besoin de toute leur vie. Et peut-être que si pour certains, mais il faut essayer pour savoir.

Décider de ferrer un jeune cheval, c'est une énorme responsabilité, bien trop souvent écrasée par le poids de la tradition. Pourtant cette décision, comme celles de l'âge du débourrage ou de la méthode d'apprentissage utilisée, aura des conséquences tout au long de sa vie. Ne la prenons pas à la légère!

Nous avons, vous avez toujours le choix des décisions que vous prenez pour vos chevaux, et ce ne sont pas les jugements d'autrui qui doivent vous forcer dans ceux-ci. Ce que j'aimerais simplement, c'est que chacun de ces choix soit fait en conscience, de façon réfléchie et non systématique. Le premier choix qui est fait pour la santé des pieds d'un cheval, ce n'est pas déferrer, c'est bien ferrer!

Alors voilà, je vous invite simplement à vous poser cette question avant de ferrer votre cheval : pourquoi ferrer ce cheval en particulier? En quoi en a-t-il besoin? Et de dépasser le simple et trop fréquent "c'est le maréchal qui m'a dit que ça n'irait pas s'il n'est pas ferré". Et alors, peu importe votre décision, elle aura été prise en conscience. Vous en connaitrez les raisons et vous saurez les expliquer si vous en avez envie. Et cette idée s'applique d'ailleurs pour beaucoup de nos décisions pour nos chevaux.

Et puis, n'ayez pas peur de revenir sur vos décisions. Votre cheval a trop mal aux pieds et il n'y a pas de solution pieds nus? Ferrez! Il n'est pas bien dans ses fers, et les changements de type de fers n'ont rien amélioré? Déferrez! Vous avez trouvé le professionnel qui travaille comme il vous convient? Suivez ses conseils! Nous changeons, nos chevaux évoluent, les techniques aussi. Alors n'oublions pas de continuer à nous poser des questions!

D'ailleurs, j'aimerai beaucoup connaitre le pourquoi de vos choix. Pas pour juger, mais au contraire pour comprendre ce qui peut nous guider vers l'un ou l'autre choix, parce que chaque histoire est unique. Pourquoi avez-vous ferré votre cheval? Ou pourquoi l'avez-vous gardé pieds nus? Ou déferré? Ou pourquoi avez-vous fait des choix différents selon vos chevaux?

11 commentaires:

  1. Le Silence des chevaux (j'ai fait un article sur mon blog à propos de ce livre) explique parfaitement le fonctionnement du pied et en effet, même si je n'ai pas aimé le ton du livre, on se rend bien compte que ferrer... n'est qu'une vieille habitude héritée de la tradition. On ferre sans trop réfléchir parce que c'est ce qu'on voit depuis qu'on a commencé le poney, que c'est la norme, que c'est ce que dit le maréchal et le coach... Alors on fait pareil. Mais c'est loin d'une obligation et effectivement, on peut très bien s'en passer, quitte à voir pour d'autres alternatives en cas de grosses échéances ! En endurance par exemple, les chevaux pieds nus sont légions mais lors de grandes (longues) courses, ils sont souvent équipés d'hipposandales. Et dés la fin de la course, zou, tout le monde pied-nu, c'est bon pour la récupération, pour les membres, pour le pied...

    Mais il va peut-être falloir encore un peu de temps (et surtout le passage vers la nouvelle génération, avec la fin de l'ancienne plus traditionnelle) pour que le pied-nu devienne un réel motif de réflexion...

    En tout cas, très bon article pour éveiller les consciences ! **

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    1. Je n'ai jamais réussi à me lancer à lire ce livre, justement à cause du ton adopté par Pierre Enoff dans le peu que j'en ai lu, et pourtant le contenu semble intéressant!
      Mais quelque part, on a déjà fait un sacré chemin pour en arriver où on en est aujourd'hui, donc tu as raison, il faudra encore du temps mais les choses vont évoluer à leur rythme, et je pense aussi grâce à l'évolution des technologies, que ce soit des hippo ou des fers.

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  2. Ma ponette n'a jamais été ferrée mais j'ai eu droit à des remarques de la part de professionnels. "Puisque tu la travailles, pourquoi tu ne ferres pas? Et en extérieur tu fais comment? Et en hiver, elle va avoir des problèmes de fourchettes, tu devrais ferrer."
    Pas facile de faire reculer les clichés...

    Ma ponette n'a pas besoin de fers mais il est bien évident que si un jour j'ai un autre cheval qui en a besoin, je n'hésiterais pas à ferrer.
    Attention à ne pas se cloisonner dans les pro fers ou les pro pieds nus. Ton article est très bien en ce sens.

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    1. Pas facile de rester dans ses convictions face au regard des autres en effet. Mais le plus important c'est en effet d'écouter son cheval, pas tous ceux qui veulent savoir pour nous.

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  3. J'ai acheté ma jument, elle était alors pieds-nus. Mais pieds pas entretenus, parés à plat, bref, pas fonctionnels. Elle avait mal, alors mon maréchal m'a dit de la ferrer. Chose que j'ai fait pendant plusieurs années. Mais à aucuns moment la qualité de ses pieds de s'est améliorée. Oui elle passait partout sans avoir "mal", mais ses pieds ne cessaient de casser... Alors pour ça et aussi par "conviction" j'ai décidé d'arrêter de la ferrer. Et depuis, ses pieds ne cassent plus, ils n'ont jamais été aussi jolis. Et sa sensibilité n'est presque plus présente ! Comme tu le dis si bien dans ton article, la remise en question est le plus important !

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    1. C'est marrant, j'ai un parcours similaire avec ma jument. Pieds-nus mal parés, passage aux fers sur conseils de l'osteo qui n'a pas résolu notre problème, et depuis le retour pieds-nus je la trouve bien dans ses sabots, alors on continue comme ça, parce que ça nous va bien!

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  4. C'est important de garder en tête le bien-être du cheval. Certes on a des convictions, des envies pour lui, mais au final, ce sont ses besoins qui décident réellement ! Merci de le rappeler dans cet article (c'est encore trop rare de lire des choses aussi mesurées à ce sujet sur Internet !)

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    1. Ben, j'essaie d'être aussi mesurée sur Internet que dans la vraie vie, parce qu'après tout ce sont les mêmes personnes à qui je parme ;-) Le plus dur, c'est justement de faire la part des choses entre ce qu'on souhaite, ce qu'on croit le meilleur pour lui, et ce dont il a vraiment besoin.

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  5. Salut!
    Très bonne question en effet. Je vais partager mon expérience récente sachant que mon conjoint est Maréchal ferrant.
    Nous avons deux jeunes chevaux (2and et 3ans). Ils n'ont jamais été ferré mais observés par la remise en question de mon conjoint. Ils sont pieds nus.
    Ganesh et Gaya se promènent en liberté, nous habitons en montagne et passons sur route parfois.
    Mon gros de 3 ans, je commence à le monter en ballade, pas longtemps, je marche beaucoup, il broute, la vie est belle.
    Ses pieds s'usent le plus naturellement qu'il soit, même pas un parage en 3 ans. Nous avons prévu des hyposandales pour les antérieurs mais à ce jour, elles sont inutiles.
    Pour les chevaux qui sont toujours sur le sable, le ferrage est totalement inutile. Je suis Doctorante en éthologie et j'ai pose souvent la question : on a a toujours ferré, on continue
    .... réponse commune. Mais nos obseeobserva démontrent que, sauf pathologie particulière, le fer est plus un problème pour ces chevaux. D'où les troubles digestifs. Chéri a rédigé un article détaillé. Il a vu des chevaux pendant plus de 30 ans, ça laisse le temps de réfléchir.
    Nos chevaux pieds nus ont des pieds en bonne santé, de tres jolies allures naturelles, mon gros saute comme un champion alors que c'est un demi lourd.
    Rien n'est figé cependant. Je garde mes hipposansales. Avec les sols rocailleux et très secs en ete, l'observation/réaction reste pour moi très importante.
    À chacun de prendre des décisions en fonction de la réponse de son cheval.
    Belle journée à toi

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  6. Comme toujours, un article réfléchi et qui me semble toujours très sensé. J'ai exactement la même vision des choses. Chaque cheval est un individu, pour chaque sujet, les réponses toutes faites peuvent ne pas convenir.
    Pour mon (grand) poulain, je suis partie sur du pieds nus, parce que je ne vois pas l'intérêt de le ferrer. Pour le moment, nous n'avons pas encore le recul nécessaire pour pouvoir dire si telle ou telle situation pose problème. Il ne va pas être monté tous les jours et les terrains sur lesquels il va évoluer (dans un futur moyen, en tout cas) sont plutôt souples. Après, dans notre région, dès que l'on sort en extérieur, les terrains sont secs (la plupart du temps...), durs et caillouteux. Je ne sais pas encore si cela va lui poser problème (je croise les doigts), c'est pour cela que je regarde avec grand intérêt les solutions "mixtes" comme les fers en plastique Megasus qui peuvent se mettre et s'enlever facilement, selon les besoins. La théorie me paraît très à propos, j'attends impatiemment les premiers retours des utilisateurs ! :)

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    1. J'aime bien cette idée. On commence simplement, on essaie et ensuite on s'adapte si c'est nécessaire aux besoins du cheval. J'espère que tout va bien se passer pour ses pieds alors

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